La France condamnée pour pollution atmosphérique

Par une décision du 24 octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a condamné la France pour avoir dépassé “de manière systématique et persistante” la valeur limite annuelle fixée pour la dioxyde d’azote (NO2) depuis le 1er janvier 2010, violant de ce fait la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 relative à la qualité de l’air ambiant.

Les émissions concernées sont principalement issues de la combustion de combustibles fossiles (le transport automobile étant la cause majeure avec les véhicules roulant au diesel). Ces dépassements concernent pas moins de douze agglomérations françaises (Marseille, Toulon, Paris, Auvergne-Clermont-Ferrand, Montpellier, Toulouse Midi-Pyrénées, Reims-Champagne-Ardennes, Grenoble, Strasbourg, Lyon-Rhône-Alpes, Vallée de l’Arve et Nice). A Paris, les concentrations annuelles déclarées en 2016 ont atteint 96 µg/m3, alors que la valeur limite fixée par l’UE est de 40, 96 µg/m3, soit plus du double des valeurs autorisées.

Rappel du cadre réglementaire

Le cadre juridique relatif à la qualité de l’air au sein de l’Union européenne résulte principalement de trois directives :

Procédure

Cette sanction de la CJUE intervient après de longues années de réprimandes de la part de la Commission européenne. En 2009, la Commission avait adressé à la France une première lettre de mise en demeure, suivie en 2010 d’un avis motivé, puis en 2011 d’une décision de saisine de la CJUE qui n’a pas abouti. Le 7 mars 2012, la France avait sollicité un report du délai prévu pour respecter les valeurs d’émission, report auquel la Commission avait objecté par une décision du 22 février 2013.

Une mise en demeure complémentaire a été adressée aux autorités françaises le 19 juin 2015, pour manquement à la directive de 2008 sur les limites du dioxyde d’azote dans plusieurs agglomérations françaises.

Rappelons également que le Conseil d’Etat, par un arrêt CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n°394254, avait enjoint le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites définies par le code de l’environnement.

Le 30 janvier, 2018 neuf Etats membres de l’Union européenne, dont la France, se sont retrouvés devant la Commission européenne pour s’expliquer sur leur dépassement de la qualité de l’air. A la suite de cette convocation, les ministres de l’environnement de ces pays devaient présenter sous dix jours une amélioration de leurs propositions, jugées insuffisantes et pas assez concrètes. Le 13 février 2018, la France avait donc remis son plan d’action. Aux termes de ce document, le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA), adopté en 2017, devrait permettre une réduction substantielle des valeurs d’émission. Ces feuilles de route ont été jugées insuffisantes par la Commission européenne.

Le 17 mai 2018, le Commissaire chargé de l’environnement, Karmenu Vella, a annoncé que la France sera présentée devant la CJUE pour le non-respect des normes pour le dioxyde d’azote.

Le 11 octobre 2018, un recours est introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne en vue de condamner la France pour manquement aux obligations lui incombant en matière de pollution atmosphérique.

Analyse de l’arrêt

Les arguments de la France pour se défendre sont plusieurs ordres, qui, sans remettre en cause l’existence persistante des dépassements des valeurs limites de dioxyde d’azote, soulève notamment :

  • La croissance démographique, accompagnement par une évolution des modes de transport, a entravé les mesures que les autorités ont prises pour lutter contre la pollution de l’air;

  • Le développement de solutions alternatives et durables en terme de mobilité nécessite “des investissements lourds et coûteux, qui ne pourraient être réalisés qu’à long terme.”

  • Des règlementations en terme de fiscalité sont à éluder au regard de la sensibilité de l’opinion public sur le sujet.

  • Les dépassements reprochés ont été enregistrés à proximité d’axes routiers.

La Cour rejette ces moyens au motif que, peu importent les arguments justifiant le dépassement des valeurs limites : le seul fait de dépasser les valeurs limites suffit à constater un manquement aux dispositions combinées de l’article 13 (intitulé « Valeurs limites et seuils d’alerte pour la protection de la santé humaine », fixant que les seuils à respecter pour certains polluants sont indiqués à l’annexe XI) et de l’annexe XI (fixant les valeurs limites pour le NO2) de la directive 2008/50.

Les données figurant dans les rapports transmis par la France indiquent clairement qu’entre 2010 et 2016, il y a eu un dépassement persistant et objectif. Et la Cour d’ajouter : “dès lors que le constat objectif du non-respect par un État membre des obligations que lui imposent le traité FUE ou un acte de droit dérivé a été établi, il est sans pertinence que le manquement résulte de la volonté de l’État membre auquel il est imputable, de sa négligence ou bien encore de difficultés techniques ou structurelles auxquelles celui-ci aurait été confronté”.

En outre, le moyen tenant de l’enregistrement à proximité d’axes routiers a été jugé conforme aux critères de macro-implantation des points de prélèvement définis à l’annexe III de la directive 2008/50.

La France est ainsi condamnée.

Les conséquences

La France devient ainsi le troisième pays de l’UE condamné par la Cour de Justice pour avoir exposé sa population à un air pollué (les deux autres pays étant la Pologne et la Bulgarie).

Les conséquences sont toutefois assez faibles sur le plan procédural : si la France encourt une amende de 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins 240 000 euros jusqu’au respect des normes de qualité de l’air, il convient de noter que ces procédures sont très longues, pouvant s’écouler pendant plusieurs années (dont contredisant la nécessité d’agir en urgence pour abaisser les émissions).

En outre, la CJUE a accordé un sursis à la France, lui imposant de remplir ses obligations “dans les meilleurs délais”, sans aucune autre indication. La condamnation de la France à une véritable sanction financière est ainsi laissée à l’appréciation et la discrétion de Bruxelles, qui pourra choisir d’agir ou non selon les éventuelles améliorations de la qualité de l’air français (à noter que la Bulgarie et la Pologne ont réussi à échapper à l’amende).

S’il est certain qu’une condamnation de la France à des sanctions pécuniaires aussi élevées peut avoir un effet dissuasif, il semblerait plus opportun, s’agissant de deniers publics, de procéder à une consignation de cette somme sous réserve pour la France de prendre le plus rapidement les mesures nécessaires.

A noter que cette condamnation ne concerne que le dioxyde d’azote, et que la France est également dans le viseur de la Commission concernant les émissions de particules fines (PM10). Une mise en demeure avait été adressée en 2009 par la Commission, suivie en octobre 2011 et avril 2015 de deux avis motivés pour dépassement dans treize zones. A ce jour, des procédures sont ouvertes contre seize pays de l’Union, dont la France, mais aucune suite contentieuse ne semble à prévoir.

Le projet de loi sur l’Orientation des mobilités, définitivement adopté par l’Assemblée le 25 novembre, devrait permettre, selon les auteurs du texte, de guider cette amélioration.

Mathilde Lacaze-Masmonteil