La loi du 15 avril 2024 « visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels » vient créer un nouvel article 1253 dans le Code civil relatif aux troubles anormaux du voisinage. Il s’agit d’un fondement particulièrement utile en présence de nuisances atmosphériques, pour engager la responsabilité d’une personne physique ou d’une personne morale (entreprise…) à l’origine de telles pollutions.
La condition de voisinage est importante. Il ne suffit pas d’être opposé à un projet particulier (exemple : éoliennes, industries…), il faut pouvoir démontrer la qualité de « voisin » par rapport à la source des nuisances.
Avant cette date, quel était le cadre juridique ?
La notion de trouble anormal du voisinage existe depuis longtemps, mais son existence n’était pas légale, uniquement jurisprudentielle (ou prétorienne) : cela signifie que ceux qui l’ont consacrée furent les juges, et non le législateur.
Pour construire ce cadre juridique et cette notion, le juge judiciaire s’était fondé sur la protection de la propriété privée (article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. ») et sur le droit commun de la responsabilité (article 1240, anciennement 1382 du Code civil) pour consacrer le principe suivant : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Ce fondement permet d’obtenir du juge la cessation du trouble, et l’indemnisation des préjudices subis du fait des nuisances, peu importe leur nature (sonore, olfactive…). La loi du 15 avril 2024 vient seulement introduire dans le Code civil ce régime, mais ne vient pas modifier en substance ce qui existait précédemment.
- Qu’est-ce qu’un trouble anormal du voisinage ?
Pour que l’action puisse être fondée, la victime doit subir des nuisances qui dépassent les « inconvénients normaux de voisinage ». La seule preuve du caractère « anormal » du dommage suffit à engager la responsabilité de son auteur, en ce qu’il excède la mesure habituelle inhérente au voisinage. Il s’agit d’un régime très circonstancié, apprécié de manière objective par le juge. La loi ne définit pas cette notion, de sorte que l’anormalité du trouble va s’apprécier en fonction de sa gravité, de sa répétition, de l’environnement dans lequel il s’inscrit…
- Quelles sont les conditions d’engagement de la responsabilité de l’auteur ?
Aux termes du nouvel article 1253 du Code civil, “Le propriétaire, le locataire, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du dommage résultant de ce trouble.“
Il est ainsi possible d’engager la responsabilité de toute personne, selon qu’elle ait ou non la qualité de propriétaire des lieux, et selon qu’elle exerce une activité professionnelle ou personnelle. L’interpellation d’une entreprise ou d’un opérateur de chantier, même occupant de manière temporaire les lieux, est donc possible.
Il s’agit d’une responsabilité de « plein droit ». Ce type de régime permet l’engagement de la responsabilité même en l’absence de faute, et quand bien même l’activité en cause s’exercerait en conformité avec les lois et règlements.
Dans l’hypothèse où vous seriez êtes à proximité d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), dès lors que celle-ci génère des nuisances et alors même qu’elle fonctionne en respectant les prescriptions qui lui sont imposées, vous pouvez engager la responsabilité civile de l’exploitant.
S’agissant d’une action en responsabilité, il faut pouvoir démontrer que ces nuisances vous causent un préjudice. Ces préjudices peuvent être de plusieurs ordres : moral, physique (aggravation de l’état de santé, problèmes pulmonaires ou cutanées…), d’agrément ou encore économique. Ces préjudices doivent nécessairement être étayés et justifiés par tous moyens possibles. Vous pouvez par exemple contacter un huissier pour faire constater l’existence de la nuisance, recueillir des témoignages d’autres voisins, obtenir des certificats médicaux, produire des photographies ou vidéos de la nuisance alléguée…
Il faut que le lien de causalité soit certain et direct entre le trouble anormal et vos préjudices.
- Quelles sont les causes d’exonération pour l’auteur du trouble ?
Il convient de mentionner que l’auteur des troubles pourra avancer un moyen de défense : la théorie de la pré-occupation. Aux termes de la loi et de la jurisprudence acquise depuis de nombreuses années, cette responsabilité ne peut être engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée.
Cette exception est particulièrement importante puisqu’elle signifie que si votre emménagement est postérieur à l’exercice de l’activité, à l’ouverture de l’installation classée ou à la prise des lieux par votre voisin, vous ne pourrez engager une quelconque action.
Rassurez-vous, il existe une exception à cette exception : il faut que les activités litigieuses soient conformes aux lois et aux règlements et qu’elles se soient poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
Ainsi, si vous emménagez dans un immeuble au-dessus d’un restaurant ou d’une boucherie qui ne respecte pas, par exemple, certaines dispositions du règlement sanitaire départemental, la théorie de la pré-occupation ne s’appliquera pas à vous et vous pourrez engager votre action.
Attention pour les activités agricoles
Aux termes de l’article L.311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, cette théorie de la pré-occupation s’applique en particulier pour les activités agricoles. Ainsi, ne saurait être considérée comme anormale une nuisance générée par une activité agricole (telle que définie à l’article L.311-1 du Code rural et de la pêche maritime) si elle préexistait à l’arrivée de la victime, si elle s’inscrit dans le cadre d’une activité régulière et si elle ne s’est pas aggravée depuis l’arrivée de ladite victime.
- Quelle procédure à suivre ?
L’action en trouble anormal du voisinage s’exerce devant le tribunal judiciaire, le plus généralement celui à proximité de votre domicile.
ATTENTION : depuis la loi du 18 novembre 2016, la partie subissant le trouble doit obligatoirement et avant toute procédure en justice tenter de parvenir à un règlement amiable du litige, devant être mené par un conciliateur de justice. A défaut, votre action sera rejetée par le juge. C’est une étape préalable requise.
A noter qu’une lettre recommandée avec accusé de réception ne constitue pas une tentative de règlement amiable au sens de la loi.
En cas d’échec de la conciliation, vous pourrez demander au juge d’une part, la cessation du trouble et d’autre part, l’indemnisation des préjudices subis. Comme évoqué précédemment, pour que vos préjudices soient correctement indemnisés, il faudra justifier leur existence et leur importance.
Quelles étapes à suivre si vous êtes souffrez de nuisances générées par des feux de cheminées et que vous envisagez une action contentieuse ?
- Commencez par récolter le plus de preuves possibles sur le caractère anormal de votre situation : constats d’huissier, photographies, certificats médicaux
- Contactez un conciliateur de justice. Vous trouverez une permanence à proximité de chez vous sous ce lien : https://www.conciliateurs.fr/trouver-une-permanence
- En cas d’échec de la conciliation, vous devrez assigner votre voisin en justice. Vous devrez être accompagné d’un avocat pour assurer la défense de vos droits.